Ma mère est décédée deux ans avant que je devienne mère moi-même, à la suite d’une maladie qui la rendait méconnaissable depuis déjà quatre ans. Mélina Cliche
Devenir maman sans sa maman, c’est un deuil à retardement, c’est une peine qui s’égrène. Ce sont des vagues, parfois houleuses, parfois prévisibles et anticipées.
J’ai pleuré les annonces de mes grossesses que je n’ai pu lui faire. Certaines images que je ne verrai jamais sont devenues des chimères : mes enfants dans ses bras, la fierté que j’aurais pu lire sur son visage après l’avoir rendue grand-mère une fois de plus. J’ai pleuré les rires de mes enfants mélangés aux siens que je n’entendrai jamais. J’ai pleuré tout ce que je n’aurai jamais eu en sa compagnie. Nous n’avons même pas pu partager une seule minute de ma maternité… J’aurais aimé lui demander si elle avait eu mal au cœur pendant toute sa grossesse, comment elle avait vécu ma naissance. Comme par prémonition, elle avait tout écrit dans mon livre de bébé et elle avait filmé de nombreux moments familiaux depuis mes 5 ans. Mais ce ne sera jamais comme l’entendre me raconter comment elle se sentait, comment elle a vécu ces moments intenses qui caractérisent actuellement ma vie de mère. Je n’ai pas pu apprendre de son expérience, de son vécu.
Je pleure aussi la perception de mes filles. Je prends conscience que pour elles, mamie Micheline, c’est une photo de la madame habillée en mauve sur ma commode, c’est le bedon qui m’a portée, c’est la recette de sucettes glacées maison qu’on fait tout au long de l’été et qu’on lit dans son propre livre de recettes, écrit à la main. C’est la première amoureuse de papi Gaston, c’est la pierre tombale où on va dire bonjour de temps à autre… Je leur raconte toutes sortes d’anecdotes et de faits pour qu’elles puissent la connaître, en essayant de ne pas tomber dans la nostalgie.
Mais quoi qu’on en dise, mes filles n’auront jamais le réel portrait de leur grand-mère maternelle : la chaleur et le confort de ses bras, son odeur, son délicieux pain, sa voix forte mais toujours enjouée, sa patience disponible et aimante. Ce ne sera jamais ELLE. Tous ces petits souvenirs ne rendent pas justice à la maman qu’elle était et à la mamie qu’elle aurait été. Mais c’est mon rôle de garder sa mémoire vivante pour mes trois filles et de la voir à travers elles.
Je pleure aussi la reconnaissance que je ne pourrai jamais lui exprimer de vive voix. J’aimerais lui dire que maintenant, je mesure toute la patience qu’elle avait de faire des tartes avec nous, que je sais que ça devait lui prendre le double de temps et d’énergie par rapport à ce que cela aurait exigé de les faire seule. Je voudrais la serrer dans mes bras et la remercier d’avoir mis sa vie sur pause pendant plusieurs années pour être à nos côtés. Je sais maintenant le nombre de fois où elle a dû se mordre les lèvres pour ne pas hurler lorsque nous étions des furies dans la maison. J’aurais aimé lui communiquer toute mon admiration d’avoir mis au monde quatre enfants en cinq ans au début de sa vingtaine.
Je n’ai peut-être pas eu ma mère aussi longtemps que je l’aurais souhaité, mais j’ai eu une formidable maman sur laquelle j’ai pu compter toute mon enfance… Elle reste un modèle et un point d’ancrage qui me permettent de donner à mon tour une belle enfance à mes filles. Il est là, ton véritable héritage, maman.
Source: Enfants Québec, avril 2016
Un commentaire
Marco Goulet
Tu écris bien Mélina, authentique et touchant.