Ne cachez plus vos larmes à vos enfants…
Nous discutions tranquillement toutes les quatre quand Marie-Hélène s’est mise à pleurer. Nous l’avons regardée attentivement, prêtes à entendre ce qui la bouleversait ainsi, à la consoler, à partager sa peine, tout simplement. Mais la première chose que Marie-Hélène a dite, c’est : «Excusez-moi, excusez-moi.» Puis, après s’être tapoté les yeux avec le mouchoir que lui avait tendu Paule, elle a ajouté : «C’est tellement niaiseux… Chus vraiment désolée !»
Mon cœur s’est brisé, comme chaque fois qu’une personne pleure devant moi et s’en excuse. Avons-nous donc fini par croire aux mensonges de cette société de consommation et de performance, où le seul bonheur acceptable doit être sans tache, lisse et souriant ? Les pleurs sont-ils devenus une tare honteuse ?
On ne doit jamais s’excuser de pleurer. Jamais.
Même quand ça nous arrive au milieu d’un souper de famille, lors d’une réunion de travail, au magasin, à l’épicerie, après l’amour, pendant une conférence qu’on donne ; seule dans un ascenseur, debout dans un escalier roulant, assise dans une salle d’attente ; en regardant une pub de papier de toilette, un film, une photo ; à un mariage, à une promesse scoute, à un accouchement. J’ai pleuré dans tous ces endroits et à toutes ces occasions. Et bien d’autres. Les larmes nous surprennent parfois, sans qu’on les ait vues venir.
On ne pleure jamais pour rien. Jamais.
De grâce, arrêtez de dire ça aux enfants. Ce n’est pas parce que vous ne savez pas pourquoi votre petit pleure qu’il faut en conclure qu’il n’a aucune raison de pleurer. Peut-être qu’il est fatigué. Peut-être qu’il a mal. Peut-être qu’il a peur et qu’il n’arrive pas à le dire ou alors il ne sait pas lui-même ce qui le fait pleurer. On n’a pas besoin de comprendre ni de savoir pour consoler un enfant qui pleure. On a juste besoin d’accepter ses larmes. Combien de fois avons-nous tenu dans nos bras un enfant qui pleurait en répétant tout bas dans son oreille : « Mais non, mais non, tout va bien, tout est correct. » Brutale négation de la réalité de ses sentiments. Comme s’il fallait à tout prix qu’il arrête de pleurer.
Quand on pleure devant nos enfants sans s’excuser ni se cacher, on leur apprend que la douleur fait partie de la vie et que montrer notre vulnérabilité nous permet d’obtenir l’aide dont on a besoin. Nos enfants seront démesurément bouleversés seulement si nous traitons ces larmes comme un comportement honteux qu’il faut à tout prix dissimuler ou refouler. Mais si on reste là, avec un autre adulte qui prend soin de nous, c’est nous qui se-rons bouleversés par l’em-pathie dont les petits sont capables.
Beaucoup, beaucoup de monde a pleuré devant moi, avec moi ou dans mes bras. Il m’a fallu bien des années pour apprendre à me taire et à être simplement totalement là, avec elles, avec eux. Quand il s’agissait d’enfants, je murmurais souvent un : « Oui, ma belle chérie. Oui, je t’entends… » J’ai pu vérifier chaque fois à quel point cet accueil donne de la force aux personnes, petites ou grandes, et leur permet de continuer d’avancer après. De passer à l’étape suivante.
Chacun de ces individus, enfant ou adulte, m’a appris que les larmes sont toujours l’occasion de nourrir le lien qui nous rassemble. Quand nous pleurons dans les bras de quelqu’un, c’est peut-être la plus ancienne et la plus profonde marque de notre humanité que nous partageons tous les deux. Comme nous l’avons partagée au premier instant de notre vie.
France Paradis est scénariste, conférencière, orthopédagogue et mère de famille.
Source: Enfants Québec, février-mars 2016
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