Il y a des grands-parents dont les enfants ont des emplois stables et à heures fixes. Mon fils et sa compagne sont musiciens. Ils travaillent les soirs et les fins de semaine, ils ont des horaires de fous et me demandent souvent de garder ma petite-fille. Pendant l’été, quand je suis en vacances et que redouble l’activité des musiciens, je la garde même des semaines entières. Il y a des grands-parents, à l’aise financièrement, qui peuvent sans se priver offrir à leurs petits-enfants des sorties régulières, des cadeaux de valeur, des cours de ceci ou de cela, voire partir en voyage avec eux.
J’ai été mère monoparentale et suis encore célibataire, si bien que toutes les dépenses inhérentes à l’entretien d’une (vieille) maison ont toujours été à ma charge. Je n’ai pas un sou de côté, et s’il m’arrive de faire des sor ties avec ma petite-fille, c’est parce que j’ai choisi de renoncer à autre chose: pour acheter le billet de saison du Village historique acadien, je me suis serré la ceinture; pour aller aux pommes, j’ai repoussé d’un mois l’achat de chaussures dont j’avais pourtant besoin.
Nous nous aimons sans argent, sans horaires définis, à travers un agenda chargé. Je fais aussi partie d’une troupe de théâtre, je mets un point d’honneur à passer du temps avec ma mère âgée, et j’aime les longues marches dans la nature, où j’identifie les fleurs sauvages.
Il existe une myriade d’activités qui ne coûtent rien ou pas grand-chose, et mon amour de la nature trouve très bien son compte dans ces heures de gardiennage. Nous bricolons, nous jardinons, nous explorons la forêt et le marais salé, nous allons nager, marcher, pique-niquer, nous jouons au terrain de jeux.
J’ai encore les jouets et les livres de mes enfants et, en tête, les chansons de ma mère centenaire, qui lui venaient pour beaucoup de sa propre mère: un patrimoine qui remonte à très loin, un héritage sans prix, précieux à l’heure du dodo. Nous allons visiter ma mère et ma sœur handicapée : Coralie sait déjà l’importance de la tendresse pour les gens âgés et fragiles.
Ma petite-fille découvre l’art grâce à des photos d’œuvres d’artistes de tous genres, découpées pour la plupart dans de vieux Reader’s Digest et collées dans un cahier. Elle possède aussi son cahier personnel où, avec d’anciennes revues, une paire de ciseaux et un bâton de colle, elle crée son propre «scrapbook».
Il y a des moments privilégiés: une nuit d’insomnie où nous sommes sorties marcher sous les étoiles, le jour où une sittelle est venue dérober dans sa main une graine de tournesol, le temps d’une course folle dans les hautes herbes à la poursuite des papillons et des criquets, un après-midi à se rouler dans les feuilles mortes. Et tant d’autres.
Je n’offre pas souvent de cadeaux à Coralie: notre relation n’est pas basée là-dessus. Elle est faite de tendresse, de fous rires, de jeux partagés, de secrets bien gardés, d’apprentissages, de découvertes, de querelles parfois, et de réconciliations. «Ton fils est chanceux, me dit-on souvent, d’avoir une gardienne aussi disponible.» C’est vrai. Mais personne ne se rend compte à quel point, de mon côté, je suis chanceuse de vivre une relation aussi étroite avec ma petite-fille. Envier les autres grands-parents, moi? Jamais de la vie!
Pierrette Boudreau est la mère monoparentale de deux enfants aujourd’hui
adultes, Josette et Nicolas, la grand-mère de Coralie (8 ans) et d’Alix (19 ans), et la très jeune arrière-grandmère de Chloé (2 ans). Elle habite à Maisonnette, au Nouveau-Brunswick, où elle travaille comme préposée de bibliothèque en milieu scolaire.
Source: Enfants Québec, mai-juin 2014
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