Angoisses, faux espoirs et fausses couches à répétition ont marqué la trentaine de cette femme, tandis que presque toutes ses amies pouponnaient avec bonheur. Elle a cependant toujours été là pour nous et nos enfants. Elle s’offrait spontanément pour garder nos petits afin de nous permettre de nous reposer, apportait les plus beaux cadeaux à leurs fêtes, était toujours prête pour animer une sortie ou participer à une corvée familiale.
La grossesse d’E. n’a pas été des plus facile. Arrêt de travail, repos forcé au lit pendant les six derniers mois, diabète. Heureusement, l’accouchement, lui, n’a pas engendré de complications. Lorsque je suis allée rendre visite à mon amie chez elle, je m’apprêtais à me faire toute petite pour ne pas secouer sa bulle. Je m’attendais à trouver une maman zen. J’avais tant de fois admiré son calme et sa présence apaisante! Elle était en fait surexcitée. Fébrile, elle ne cessait de se lever de sa chaise pour ajuster ceci, récupérer cela, plier du linge, pousser le berceau du bébé dans une pièce puis dans une autre, consultant sur sa tablette des infos sur la remise en forme postnatale, mettant en route une brassée de lessive, pianotant des textos sur son téléphone intelligent… Même mon fils, qui sautille sans cesse comme une puce, en avait le tournis!
Mais ce qui m’a le plus surprise, c’est qu’elle m’attendait avec une liste de questions: «Est-ce que tu saurais m’aider à attacher mon écharpe de portage? C’est normal, tu crois, qu’il crie quand on le met dans l’eau? Mon bébé se réveille toutes les quatre heures, mais l’infirmière dit qu’il faut qu’il boive toutes les deux heures… que dois-je faire? C’est quoi, à ton avis, ces petits boutons sur sa joue? Et tu as déjà essayé, toi, la position du ballon de football, tu peux me montrer?»
Jeune maman d’un petit garçon de 2 ans et demi, voilà qu’à ses yeux j’étais devenue une experte! J’ai tenté de répondre à ses interrogations – même si je n’avais jamais réussi à installer convenablement une écharpe de portage, que le simple mot «football» me donnait de l’urticaire et qu’il m’avait fallu trois mois pour convaincre mon propre fils que le bain pouvait être un moment agréable –, mais en fait je l’ai surtout écoutée… Comme elle m’avait patiemment écoutée 30 mois plus tôt, lorsque je lui racontais mes nuits d’insomnie, l’allaitement qui me donnait tellement de tracas, les petits bobos de mon nouveau-né et de mon nouveau cœur de mère. Je l’ai suivie dans toutes les pièces de la maison, pliant du linge avec elle, brassant la soupe, déplaçant les meubles en suivant ses directives, berçant son petit bout de petit homme. Je me suis laissé porter par son enthousiasme. Je lui ai dit que son fils était adorable et qu’elle faisait tout à la perfection. C’était beau de la voir enfin maman.
Mathilde Singer, rédactrice en chef
Source: Enfants Québec, avril 2014
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