Quand mes enfants étaient petits, au début de décembre j’installais une longue ficelle qui traversait le salon. Je peignais de rouge et de blanc des épingles à linge en bois et j’accrochais les cartes de Noël que nous recevions dès la première semaine du mois.
Il y a un bon moment que je n’installe plus de corde à cartes… Qui a envie d’accrocher la carte de vœux de son dentiste ou de son conseiller financier? Au lieu de ces matins de joie à décacheter de jolies lettres, je découvre des cartes animées sur mon écran d’ordinateur: un collègue de travail déguisé en renne au nez rouge, un père Noël qui chante une chanson grivoise, un décor de neige qui surgit au son d’une chanson traditionnelle. Je suis simplement une des 10 ou 210 destinataires. Comment y trouver un seul mot qui me soit destiné personnellement?
Où sont donc passées les cartes choisies avec soin et les soirées à écrire à la main quelques lignes à ceux qu’on aime? À ceux qui habitent trop loin, pour leur dire qu’ils nous manquent. À celle qui nous a consolé au printemps dernier, encore un petit merci. À ce frère avec qui nous avons eu un froid pendant l’année, pour lui tricoter des mots qui raniment le lien.
Les cartes de Noël… c’est soulever le couvercle de la boîte aux lettres et découvrir une enveloppe sur laquelle mon nom est écrit à la main. L’ouvrir et recevoir par les yeux et dans mes mains la tendresse de quelqu’un qui a pris la peine de tracer des mots pour moi sur un papier cartonné. Les cartes de Noël… c’est un nœud de plus, fait à la main, dans le pont de corde qui relie les humains aux terres de leurs appartenances.
Les cartes de Noël, c’est fait pour donner des nouvelles, lancer des invitations, envoyer des photos ou des dessins. Je sais qu’on peut faire tout ça avec un courriel. On choisit une carte dans le catalogue virtuel, on clique sur les noms sélectionnés dans notre carnet d’adresses virtuel, et hop! C’est plus rapide. Justement. Le temps est une chose si précieuse que de tenir dans ma main les mots manuscrits d’un ami, c’est comme me réchauffer les doigts autour d’une tasse de chocolat chaud, en rentrant d’une marche en montagne. Un courriel de vœux est à la carte de Noël ce que le téléphone est au rendez-vous pour un café. Cela nous fait patienter, mais ne s’équivaut pas!
Les souhaits électroniques, envoyés en nombre, m’apparaissent comme une nouvelle manifestation de l’ego. Quand je réalise une fabuleuse animation électronique que j’envoie au plus grand nombre, ne suis-je pas encore une fois en train de me mettre en scène, de me placer au centre de l’événement? Notre culture valorise ce métavoyeurisme: regarder les autres me regarder, et y trouver une satisfaction et une reconnaissance.
Quand j’écris avec un crayon, sur du papier, les mots de l’affection destinés à un seul destinataire, je suis dans l’intimité partagée. Dans la relation avec une autre personne. C’est un échange, pas une exposition. Il faudra choisir qui mérite ce temps si précieux. Si l’on n’a pas le temps d’écrire à ceux qu’on aime, à quoi donc sert tout le reste?
France Paradis est scénariste, conférencière, orthopédagogue et mère de famille.
Source: Enfants Québec, décembre-janvier 2014
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